Les origines du projet
19.04.2023
UNE HISTOIRE DE SENS
LE CAILLOU DANS MA CHAUSSURE
"Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux." A. Camus, Le mythe de Sysiphe
Le projet Endometriose.Academy a débuté par une résidence de recherche et de création artistique sur l'endométriose baptisée Ouroboros au CHU de Bordeaux, unité fonctionnelle endométriose avec l'artiste Ema Eygreteau.
Je ne sais pas très bien si c'est moi qui l'ai embarqué dans cette histoire ou si c'est elle. C'est assez complexe à expliquer. C'est une conjonction. 4 points d'orgues reliés.
Je ne parlerai que du croisement et pas des chemins, ça serait trop long, il faudrait sinon que je remonte à notre rencontre en 2019, voir même à nos chemins qui ne se sont pas croisés avant car ça n’était sans doute pas le moment.
J'ai une endométriose. C'est un fait, pas un secret, pas un tabou. C'est un état qui forge une partie de mon identité. C'est mon caillou dans ma chaussure. Ce caillou personnel est celui estimé de 1,5 à 2,5 millions de femmes cisgenres rien qu'en France, chiffre qui n'inclut pas les personnes transgenres aussi concernées. C'est donc un caillou collectif et politique.
Ce caillou, le mien, aujourd'hui dompté a, à un moment donné, dévié ma vie. Je parle de crise. Ce caillou est à la fois cette maladie mais aussi ses traitements et toute la doxa, la sociodicée et les dominations patriarcales concernant le cure et le care des femmes lié à cette dernière.
J'affirme que j'ai fait une iatrogénie médicamenteuse (les médecins parleraient d'effets secondaires du traitement). Des années de prises d'hormones progestatives (Le luteran molécule d’acétate de chlormadinone) ont fait vriller mon hypophyse et mon système nerveux central, transformant mon être en une personne sous emprise. J'ai perdu le sens. J'étais devenue une autre. Je ne rentrerai pas dans le détail de cette terrible autre ici. C'est un autre récit.
C'est là que la conjoncture arrive :
- le confinement : la puissance d'un minuscule virus capable de tout mettre à l'arrêt
- l’exposition Gossipium d'Ema Eygreteau qui se retrouve confinée dehors dans la galerie TINBOX Mobile sur une place de Bordeaux. Gossipium 4.0 réunissait une série de sculptures textiles aux formes faisant penser à des tumeurs, des nodules, des adhérences qui colonisaient la galerie. J’ai fait 2 performances filmées et un texte au titre deleuzien Devenirs-Mondes et machines de care. Ces deux performances étaient le premier acte pour moi d’une prise de conscience de la nécessité de prendre soin de soi et du récit de soi.
- le questionnaire Où atterrir ? de Bruno Latour durant le confinement, puis ma participation au consortium avec le collectif Rivage et mon travail sur mon caillou: l’endométriose
- les séances de yoga avec Idan Kirschner, un yogi israélien, tous les matins avec des milliers d'autres terrestres eux aussi confinés. Le yoga a participé à mon chemin de soin et m’a permis de renouer avec mon écosystème corporel.
Les 4 causes.
La conjonction des 4 m'a libéré de cette emprise des traitements hormonaux et a, en quelque sorte, sauvé mon équilibre mental et physique et mon allure de vie bonne.
La conjonction des 4 a dévié ma trajectoire.
Cette conjonction forme un carrefour qui a ouvert un chemin, un nouveau cap, une motricité, une ligne de fuite, un sens, une finalité.
Pour en revenir à Ema Eygreteau, artiste et amie. Je dirais que ses œuvres sont agissantes. Son art m’a mise en mouvement, en devenir, en développement et m'a donné de la puissance d'agir - du sens. * Sens: Du latin - sensus -, "percevoir par les sens, ressentir", des langues germaniques - sen - "direction, chemin".
C'est donc comme ça que la résidence Ouroboros a débuté ainsi que le projet endometriose.academy et d'autres agencements qui s'en suivent comme mon inscription au Diplôme Universitaire de patiente-formatrice au parcours en soins chroniques à l'Université collège de Santé de Bordeaux.
Je remercie donc
- le virus
- Ema Eygreteau
- Bruno Latour
- Idan Kirschner
Mais aussi
- Eric Lucy qui a supporté mon autre monstrueux
- Maëliss Le Bricon et Loïc Chabrier du Collectif Rivage qui m'ont mise en travail grâce à l’expérimentation Où atterrir de Bruno Latour
Et en chemin j’ai eu cette chance que les équipes médicales de l’Unité fonctionnelle endométriose du CHU de Bordeaux nous accueillent en résidence et d’être accompagnée par Céline Milleron au CHU de Bordeaux, en charge du programme “Culture et Santé Nouvelle-Aquitaine”, programme financé par l’ARS, la DRAC et la Région Nouvelle-Aquitaine partenaire du projet. Je les remercie infiniment. Je suis également reconnaissante envers la Fondation des usagers du système de santé sous l’égide de la Fondation de France qui a primé le projet Endométriose Academy ouvrant de nouveaux possibles comme la création future d’une bibliothèque de l’endométriose, la mise en place d’espace de rencontres, de groupes de parole et de yoga. Je mesure aussi ma chance de pouvoir semer quelques cailloux sur le chemin de la démocratie en santé grâce au Diplôme Universitaire de patiente-formatrice au parcours en soins chroniques à l'Université collège de Santé de Bordeaux. Je remercie aussi Léa Héraud Bellan pour la création du site avec l’aide de Laurent Berry, l’artiste Koré Lechat-Ménard pour son identité graphique et Lucille Matisse pour le travail de recherche mené sur l’endométriose qui viendra nourrir ce projet. Je remercie mon frère Sebastian Russell pour la création sonore de la pièce "Endometriosis cycle".
Je remercie surtout les milliers de femmes avec qui je suis en relation, de qui j'apprends et celles qui m'ont livré leurs récits.
Nadia Russell Kissoon